Le festival des romans de la rentrée littéraire bat son plein depuis les premières parutions estivales, et continuera de nous tenir en haleine jusqu'à la remise des prix en novembre ! Pour la première fois depuis une vingtaine d'années, le nombre de romans publiés est inférieur à 500 (490 pour être exact). Si la pénurie de papier et les changements liés à l'acquisition d'Hachette par le groupe Bolloré sont en partie responsables de cette baisse, le traditionnel florilège d'auteurs attendus, et de primo-romanciers à découvrir, est bien au rendez-vous. Si vous hésitez encore sur le choix de vos prochaines lectures, nous vous proposons de découvrir nos coups de cœur, à travers quelques chroniques !
Nos coups de cœur littérature française
Le cœur ne cède pas, Grégoire Bouillier
Il faut bien l'admettre, on ne s'attendait pas à retrouver Grégoire Bouillier si rapidement après la parution en deux tomes et 2000 pages du Dossier M (2017 et 2018). S'il lui avait fallu 10 ans pour l'écrire, le voici de nouveau sur le devant de la scène littéraire avec un nouveau roman, remarqué par le jury des prix littéraires.
Dans Le cœur ne cède pas, Grégoire Bouillier mène une enquête subjective sur la vie et la mort d’un ancien modèle, qui s'est laissée mourir de faim pendant 45 jours, dans les années 80. Résumer un tel livre semble impossible tant il fourmille de mille références et richesses, en nous plongeant dans le flux du temps et des savoirs. Chez Bouillier, la dimension heuristique de la littérature permet d'investir le monde comme réseau de signes et de coïncidences. L'imagination et les associations d'idées sont les moteurs de la découverte du réel, sources d'une connaissance qui se veut vraie. Particulièrement frappante, la mort de Marcelle Pichon est une source de questionnements inépuisable pour l'auteur. Pourquoi s'être infligé une telle douleur en documentant son supplice ? Oui, car Marcelle tenait son journal d'agonie. Pour qui, pourquoi écrire ce texte ? Et qu'est-ce qui a conduit Grégoire Bouillier à reprendre la plume pour nous en parler ? Il est clair que ce qui semble fasciner notre auteur, c'est qu'on puisse traduire sa mort par écrit sans intention littéraire.
N'allez pas croire que ce livre est déprimant, car l'enquête au sein de la Bmore & Investigations, l’agence de détectives fictive dans laquelle Grégoire Bouillier fait intervenir son double, est pleine de rebondissements et d'humour. En découvrant l'histoire de Marcelle Pichon, c'est en réalité le fil de sa propre vie et le récit de ses origines, sa naissance à Tizi Ouzou en Algérie, que l'auteur explore avec conviction et fantaisie. Tour à tour le roman vous fera entrevoir les spectres et les sorcières du Berry, le siège de Paris, un autre regard sur la 2ème guerre mondiale et ses privations, les secrets de la littérature de Modiano, Kafka et Wilde, l'oiseau bleu de Bukowski comme plaidoyer pour la joie, l'histoire des religieuses recluses et des mannequins des années 50, celles qui se cachent et celles qui doivent se montrer, enfin peut-être, l'analyse la plus fascinante qu'il m'ait été donné de lire sur la faim et le désir comme moteur de la vie humaine.
GPS, Lucie Rico
A la croisée du polar et de l'étrange, Lucie Rico publie un roman sur la virtualisation du monde. Ariane est invitée par son amie Sandrine à venir célébrer ses fiançailles dans un château, au bord d'un lac. Afin de lui indiquer le lieu de la fête, elle lui envoie ses coordonnées GPS. Mais le lendemain, Sandrine a disparu, un corps calciné est retrouvé dans la nature, et le partage de localisation est toujours actif. Commence alors une enquête psychologique où Ariane se met en tête de retrouver Sandrine, persuadée que les déplacements sur la carte témoignent d'une volonté de son amie, de l’emmener sur les lieux de leurs souvenirs communs. Sandrine et Ariane se sont rencontrées sur un forum ; comme elles ne savaient pas se dire les choses, elles s’écrivaient des paroles de chanson. Leur amitié a donc commencé sur internet et continue de se prolonger par l'intermédiaire du GPS. Ariane se prend d’affection pour cette carte vierge et abstraite qui lui permet de réinventer l'espace, et pour ce point rouge dont la plasticité accueille toutes les Sandrine possibles. Ecrit à la deuxième personne du singulier, GPS convoque un "tu" qui renvoie autant à notre propre solitude qu'à celle de l'héroïne. Dans une langue imagée, sensible et pleine de dérision, Lucie Rico attire notre attention sur l'importance croissante des nouvelles technologies dans nos vies et la disparition du réel.
Les enfants endormis, Anthony Passeron
A l'instar d'Annie Ernaux, prix Nobel de littérature, Anthony Passeron associe enquête sociologique et récit familial dans un premier roman qui raconte l'apparition du sida, les premiers pas de la recherche, mais également le développement de la maladie dans l'arrière-pays niçois. Il y a une quarantaine d'années, l'oncle de l'auteur décédait officiellement d'une embolie pulmonaire sans que le sida soit reconnu au sein de sa famille. Ce déni vient souligner la condition d'exclusion dans laquelle se trouvait les malades et le jugement moral porté à l'homosexualité et la consommation de drogues. Comme beaucoup de jeunes en milieu rural, Désiré est tombé très tôt dans l'héroïne pour fuir le poids des obligations sociales et la fin des grands idéaux marquant le tournant des années 80. Issue de l'immigration italienne, sa mère s'est battue contre les discriminations pour obtenir notabilité et respectabilité, en travaillant à la boucherie avec son mari. Si le couple cherchait à maintenir les apparences dans la douleur, jamais ils n'ont abandonné leur fils, balloté dans des services hospitaliers où il reçut peu de considération.
Cette plongée sans compromis dans l'intimité familiale fait éclater le poids des non-dits, des hontes ataviques et des secrets, pour faire entrer la lumière. Au-delà de ses qualités narratives, Les enfants endormis constitue également un document d'exception pour comprendre les origines du sida, les travaux menés par les pionniers de la recherche (à savoir les professeurs Rozenbaum, Leibowitch, Montagnier, Barré-Sinoussi et Brun-Vézinet), la mise au point des test de dépistages, des traitements AZT puis bithérapie et trithérapie, décrivant à la fois la rude compétition entre les laboratoires français et américains, mais aussi la difficile reconnaissance et prise en charge des malades.
Nos coups de cœur littérature étrangère
Les marins ne savent pas nager , Dominique Scali
Danaé Poussin est une orpheline née en dehors de la Cité mais qui a la particularité de savoir nager. Sa volonté? Intégrer les nantis qui vivent en ville. Mais son chemin ne sera pas facile.
Ce roman d'aventure pas comme les autres est un de mes coups de cœur de la rentrée. On sent littéralement le vent et les embruns vous fouetter le visage pendant la lecture, et l'histoire de Danaé sur cette ile d'Ys nous emporte.
L'été où tout a fondu, Tiffany McDaniel
Après la vague d'émotions internationale suscitée par Betty, les éditions Gallmeister publient le premier roman de Tiffany McDaniel : L'été où tout a fondu. Sorti en 2016 aux Etats-Unis, le texte avait déjà des accents prophétiques. Tiffany McDaniel nous ramène en 1984 (année de toutes les dystopies) dans la petite ville de Breathed en Ohio, théâtre fictif des évènements de Betty. Comme son nom l'indique, le procureur Autopsy Bliss tient "à voir les choses par lui-même" pour mieux les comprendre, ainsi se décide-t-il à envoyer une invitation au diable, par l'intermédiaire du journal local. Pouvait-il prévoir que son fils Fielding, ramènerait à la maison un jeune garçon qui prétend être Lucifer ? La présence de l'enfant en ville dérange alors qu'une série de drames rapprochés se produit, dans un climat de chaleur infernal. La couleur de sa peau et son étrange sagesse donnent lieu à toute sorte de projections, attisant la haine et la paranoïa.
Comme Saint-Exupéry qui aurait rencontré Boulgakov, L'été où tout a fondu est un grand livre sur les croyances. A l'instar de Betty, il rappelle à quel point les histoires qu'on se raconte peuvent rendre le monde plus humain et lui attribuer un sens passager. Vous verrez comme vous serez émus par les baskets du frère de Fielding, la tadorne du paradis, le scintillement du colza ou la main de Dieu qui retient l'ange déchu et réconforte les enfants malades dont c'est l'anniversaire. Mais les mythes peuvent aussi faire de nous des monstres dans lesquels prospèrent la mort, l'homophobie et le racisme. En cet été où tout se met à fondre, les êtres chers, l'espoir, les valeurs, l'ignorance et les illusions, nous sommes renvoyés à la nature profondément changeante, évanescente, insaisissable de nos existences. Autopsy nous incite à voir ce qui mérite d'être sauvé dans tout le mal qu'on se fait. Ne pas créer de nouveaux dieux pour justifier la violence, ne pas se faire Dieu soit même. Mais surtout, continuer de faire pleuvoir des histoires sur le monde. Il est important de préciser qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu Betty pour découvrir L'été où tout a fondu, même si les deux romans ne s'apprécient que mieux dans la ferveur de l'autre. Vous comprendrez alors que ce n'est pas seulement Betty que vous aimez, mais bien Tiffany McDaniel.
Le magicien , Colm Toibin
Si l'écrivain Thomas Mann est un auteur de génie, il m'a toujours semblé que ce devait être un homme un peu ennuyeux. J'avais tort. J'ai dévoré ce gros roman qui nous raconte la vie de l'écrivain allemand traversant le XXe siècle mais aussi l'homme qui sublime ses désirs grâce à la littérature et le père dépassé par sa progéniture.