Nous vous proposons régulièrement de retrouver les coups de cœur des bibliothécaires en ligne ; ce mois-ci Philippe vous partage sa chronique sur Michel Houellebecq !
Anéantir, Michel Houellebecq [Roman]
Nous approchons de l’élection présidentielle de 2027. Le candidat de la majorité sortante n’est autre que le Ministre de l’Economie, Bruno Juge, clone lointain de Bruno Le Maire, le président en place ne pouvant se représenter après ses deux mandats successifs.
Se présente également un ex-animateur de télé, sorte d’Hanouna décomplexé – prémonitoire? - et donne ainsi le ton d’un drôle de théâtre politique, triste royaume des apparences. S’ajoutent à ce climat des attentats étranges et très élaborés dont on ignore à peu près tout.
Paul Raison, énarque attaché auprès du Ministère de l’Economie et ami de Bruno Juge, traîne son pessimisme et son cynisme narquois entre les couloirs de Bercy et son appartement coquet qu’il occupe avec Prudence, sa femme ; le couple ne partage plus rien si ce n’est quelques conventions polies.
Nous en sommes là, perplexes, face à ces intrigues liminaires et craignons que les antiennes de l’auteur – qui sonnent souvent juste – ne remplissent toutes les pages de cet épais roman solidement relié.
Malgré les ratiocinations, les provocations faciles, voire l’ennui, un changement de cap s’amorce soudain et le décor politique est abandonné progressivement au profit de personnages et d’une intrigue plus humains et enracinés (génie du lieu chez Houellebecq).
La famille de Paul se retrouve, à la faveur de circonstances cruelles et éprouvantes – fin de vie du père, Paul, lui-même atteint d’un cancer dont le récit ne nous fait l’économie d’aucun détail – et les uns et les autres (re)découvrent qu’amour et compassion peuvent dépasser l’angoisse de la mort, que la vie moderne n’offre rien pour combler l’anéantissement et la déréliction des corps qui approchent. Amour (physique aussi, très physique, mais pas nécessairement) et compassion sont des accès possibles mais ce ne sont pas des caprices ; ils s’acquièrent avec le temps, avec Prudence et Raison en somme.
Urticant, pénible, agaçant, Houellebecq est toujours là où on ne l’attend pas. Dans Anéantir, il manquerait presque à tous ses devoirs en pessimisme. Michel ou l’impossibilité du nihil.